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La rue... Inutile...

de Vailly-sur-Sauldre

       Son histoire quelque peu cocasse

         par Johanie de Valliaco

Valliacum...  Valliaco...  Valli...  Vailli...  Vailly...  Vailly-en-Berry...  Vailly-sur-Sauldre...

 

tels ont été les toponymes successifs de notre village,

tous dérivés du latin vallis : vallée

​

Qu'en est-il de ses odonymes, ses noms de rues ?

La fonction première d'un nom de rue est le repérage dans l'espace.

 

 A l'origine, Vailly s'étant structuré essentiellement le long d'une rue dite Grande, quasi rectiligne,  enserrée  entre une colline à l'est et la rivière à l'ouest, le repérage dans l'espace ne dut jamais vraiment poser problème aux habitants.

 

 Le ruisseau  Valleroy, le château, l'église, la rue Grande, le pont, le moulin,

 tels ont été les premiers et seuls repères des vaillyssois pendant des siècles.

Vailly-Plan cadastral de 1834

Plan cadastral de Vailly de 1834

Six voies partent du bourg et aboutissent aux six communes limitrophes.

Elles étaient nommées chemins :

 chemins de Vailly à  Barlieu, à Sury, à Thou, à Villegenon, à Dampierre,  à Concressault.

          

L'essor de la population de Vailly, entre 1840 et la première guerre mondiale,

a entraîné  l'instauration d'un plan d'alignement des maisons de la rue Grande (1872) et la création de quelques  nouvelles rues comme la  rue du Vieux Château, le boulevard de la République...

Ces odonymes, cependant, n'ont jamais été apposés sur des écriteaux comme dans les grandes et moyennes villes françaises qui les virent fleurir dès le milieu du XVIII ème siècle.

​

A Vailly, on connaissait parfaitement la configuration du village. L'immense majorité naissait, vivait,  mourait dans la même rue. Pour les habitants des communes voisines qui venaient au bourg les jours de foire ou marché, les enseignes des boutiques et échoppes étaient là en cas d'hésitation.

 

Les recensements successifs de Vailly  nous éclairent sur l'évolution de la population et l'essor du village mais ne nous donnent évidemment pas la date de création des rues.

Exemple : le boulevard de la République, ouvert à la circulation dès 1890, n'apparaît qu'au recensement de 1931. 

Il ne pouvait y figurer avant  puisqu'il ne comptait pas d'habitation.

 

Quelques repères :

 

       1828 : construction du pont de la Sauldre en pierre et bois

 

Recensement de 1846 : sont nommés les odonymes Valleroy, Château, rue du Bourg,

            rue du Pont (avant le pont), bout du Pont (après le pont)

 

Les trois recensements suivants ne donnent aucune nouvelle dénomination de rue.

 

1866 : réception de la gendarmerie

 

1867 : nivellement de la place après la translation du cimetière en 1863

 

1868 : construction de l'école de filles

 

Recensement  de 1872 : apparaissent les odonymes Grande rue, Prieuré,  Place de  l'Eglise, Vieux château, Grande cour, Moulin, route de Sury-es-Bois

 

Recensement de 1876 :  la Grande cour est nommée Cour Royale 

                                      

1887 : construction de l'école de garçons

 

1889 : construction du lavoir

 

Recensement de 1891 : la place de l'Eglise y est maintenant appelée place du Marché.

    La Grande rue se nomme rue Basse, sans doute par opposition à la rue haute qu'est le boulevard de la République.

Pour la première fois, est nommée la route de Villegenon.

 

8 sept 1907 : inauguration du chemin de fer

 

Recensement de 1921 : la place du Marché y est cette fois nommée  place de la Mairie. 

        Apparaissent la route du Sac, la route de Thou,  le quartier de la Gare, le quartier de la gendarmerie.

 

1923 : érection du monument aux morts route de Barlieu

 

Recensement de 1926 : est nommée pour la première fois la route de Barlieu

 

Recensement de 1931 : apparaît l'odonyme boulevard de la République

 

Recensement de 1936 : est nommée la route de Dampierre

 

Recensement de 1946 : pas de nouvelle rue

                                            

 Depuis, d'autres odonymes ont été créés :

rue des Cormiers, chemin du Valleroy, chemin des Sablons, allée du Stade, allée de la Sauldre,

allée des Chênes, impasse du Valleroy, route de Chevaise, cour du Cerf,  place du 8 mai 1945,

rue de la Roue à Paul, square Pierre-Turpin...

 

Je me conforme  à l'usage qui veut que si les mots, rue, route, boulevard, place, impasse, chemin, allée, cour, square, s'écrivent en minuscule, les noms qui suivent prennent une majuscule...

que s'il s'agit d'un nom propre, on sépare prénom et  nom par un trait d'union...

Pour bien faire, il me faudrait écrire avec des traits d'union :

 place du-8-mai-1945 et rue de la Roue-à-Paul...

 

Aucune loi ne régissant la dénomination des rues dans les villages de moins de 2 000 habitants,

c'est seulement en 1984 que le conseil municipal de Vailly envisage l'installation

de plaques au nom des rues, des plaques émaillées, en caractères blancs sur fond bleu, apposées sur chacune des maisons en bout de rue.

La numérotation des maisons se fait plus tard en 1991

pour faciliter le travail des facteurs, pompiers, gendarmes...

 

Tous les odonymes vaillyssois n'ont pas été attribués de façon arbitraire.

 

 Ils évoquent :

 

 un point de repère : rue de la gare, rue du pont...

 

une destination : rue de Sury-es-Bois, route de Barlieu...

 

une date importante de l'histoire de France : boulevard de la République, place du 8 mai 1945...

 

 un métier traditionnel : la rue de la Roue à Paul...

 

 une personne que l'on souhaite honorer : square Pierre-Turpin.

 

Mais, il est un nom de rue à Vailly dont je n'ai pas encore parlé et qu'on ne saurait dans quelle catégorie classer,

un nom de rue qui, assurément, aurait sa place dans les compilations

 de rues drôles et insolites  de Google :

 

LA RUE INUTILE ! 

Rue Inutile de Vailly-sur-Sauldre. Plaque 1.

Vailly est sans nul doute le seul village français à posséder une rue Inutile...

 

...une rue qui, si je me réfère à la définition du dictionnaire,  serait

 

UNE  RUE  QUI  NE  SERT  A  RIEN !

 

Alors, on peut se demander pourquoi l'avoir créée...

car cette rue qui n'existe pas sur le plan cadastral de 1834 a bien été créée de toute pièce par un conseil municipal qui, en son temps, devait la trouver utile, voire indispensable.

 

Une rue utile donc...  à laquelle on aurait donné le nom d'Inutile...

On voit bien que ça n'a pas de sens.

 

Inutile n'est donc pas le nom originel de cette rue.

Elle a été débaptisée.

 

Bon nombre de rues françaises, au cours de l'Histoire, ont été débaptisées par arrêté municipal.

 Une seule contrainte pour le conseil municipal qui le décide :

 ne pas heurter la sensibilité des habitants ni troubler l'ordre public.

Ainsi, la place de l'Eglise de Vailly s'est vue nommée successivement place du Marché

puis place de la Mairie et enfin place du 8 mai 1945.

 

La maison, située à l'angle du boulevard de la République et de la rue Inutile, qui porte fièrement sur son pignon la plaque émaillée RUE INUTILE m'a vu naître.

 J'avais donc à cœur de retrouver l'histoire de cette rue énigmatique.

 

Pour comprendre cet odonyme dont aujourd'hui la signification échappe, il faut remonter le temps de deux siècles et faire connaissance de la famille Decencière-Chaudry (primitivement  Decenscière de Chaudry).

 

Louis Claude Antoine Decencière-Chaudry, né à Jars en 1795, a pour père Claude Decencière-Chaudry,

avocat à Bourges et maire de Jars. On a donc affaire à une famille de notables.

 

Après s'être marié à Paris, en mai 1821, avec Louise Rodot,

Antoine s'installe à Vailly comme notaire. Il a 26 ans. Son étude se situe, semble-t-il, dans l'immeuble situé à l'angle de la Grande rue et la rue du Pont (aujourd'hui 1 et 3 rue du Pont).

 Antoine est secondé par son frère

 Gabriel Decencière-Ferrandière, de deux ans son cadet, clerc de notaire.

 

 En 1826, à 31 ans,  Antoine est nommé maire de Vailly par le préfet

 (on est sous le règne de Charles X) et en exercera les fonctions jusqu'en 1855.

 

Le recensement de 1851 nous en apprend un peu plus sur la composition de cette famille : 

Antoine Decencière-Chaudry donc, 56 ans, Louise, son épouse 47 ans,

leur fils Odile 24 ans et leurs trois filles Amélie 20 ans, Delphine 17 ans, Noémie 10 ans.

Quatre domestiques et un ouvrier jardinier complètent la maisonnée.

Au total onze personnes qui, si  je me réfère au recensement, semblent toutes résider dans le même bâtiment. Il est vrai que celui-ci est fort imposant.

  En son étude, Antoine est maintenant secondé  par son fils Odile, clerc de notaire, auquel s'ajoutent trois autres clercs, Joseph Godart 22 ans, Pierre Bizeau 19 ans et Armand Besle 15 ans.

 

En résumé, Antoine Decencière-Chaudry  a été  notaire de 1821 à 1866,  soit 45 ans

                                                                                          maire de 1826 à 1855,  soit 29 ans.

 

En octobre 1866, par décret impérial (on est sous Napoléon III),  Fortuné Mellot, 26 ans, a été nommé notaire à Vailly en remplacement d'Antoine Decencière-Chaudry, 71 ans démissionnaire en sa faveur.

Ce même Fortuné Mellot sera également maire de Vailly quelques années plus tard, en 1871.

Un parcours à peu près similaire pour les deux hommes... si ce n'est que la ligne politique de l'un, conservateur,  est à l'opposé de celle de l'autre, radical, anticlérical et taxé d'extrémisme de gauche.

(C'est Fortuné Mellot qui, en 1880, fait inscrire en lettres capitales, sans autorisation,

la devise républicaine Liberté Egalité Fraternité  au-dessus du portail de l'église)

 

On imagine donc bien la raison pour laquelle Odile Decencière-Chaudry, le fils, ne poursuivra pas son activité de clerc de notaire au sein de l'étude notariale de Fortuné Mellot...

 

Quand, le 31 août 1868,  Antoine Decencière-Chaudry, le père,  décède à 73 ans,

Odile, 41 ans, propriétaire foncier, vit déjà de ses rentes.

En octobre 1870, il devient conseiller municipal et le reste jusqu'en décembre 1877. Il a 50 ans.

 

Le 21 mars 1883, c'est au tour de Louise, sa mère, de décéder à 83 ans.

Le souvenir de Louise ne s'effacera pas de si tôt dans le cœur des Vaillyssois. Ceux-ci vont lui rendre hommage moins d'un mois après son décès et vont saluer l'estime qu'ils ont pour son fils Odile en baptisant de leur prénom respectif  l'une des deux nouvelles cloches* de l'église lors d' une cérémonie religieuse que le journal du Cher du 15 avril 1883 relate dans ses colonnes :

 

«Notre commune était en liesse, dimanche, à l'occasion d'une triple cérémonie qui a fait accourir à Vailly toutes les populations d'alentour. Le matin, un grand nombre d'enfants ont fait leur première communion, après quoi Mgr l'Archevêque leur a donné la confirmation. Le soir à 3h, a eu lieu sous la présidence du vénérable prélat, le baptême de deux belles cloches, dont l'une, ayant pour parrain et marraine M. le marquis et Mme de la Guère* et portant leur devise ; « Hardi, Pantin, en avant », a reçu les noms de Marie-Angélique. Les parrain et marraine de l'autre cloche, qui a été baptisée Louise-Odile, étaient M. Odile Decencière-Chaudry et sa mère*. La cérémonie a été magnifique. L'église était brillamment décorée et illuminée. Monsieur le Maire* et les notables du pays entouraient Mgr Marchal, que la musique de Vailly était allée chercher et a reconduit au presbytère. Après le baptême, les parrains et marraines ont fait, suivant l'usage, une ample distribution de dragées* et d'argent. Le soir, les deux cloches, installées au clocher, envoyaient dans les airs leurs notes les plus joyeuses. »

 

•      Ces cloches s'ajoutent aux deux existantes : Martin 600 kg et Donas 300 kg

•      Il s'agit d'Arthur Pantin de la Guère et de son épouse Marie-Angélique Destut d'Assay, propriétaires du      domaine des Montagnes

•      Louise Decencière-Chaudry, défunte, est symboliquement représentée par un fauteuil vide, voilé d'un crêpe noir

•      Fortuné Mellot

•      60 kg de dragées jetés du parvis de l'église et de la terrasse de la mairie

​

L'une des deux nouvelles cloches a donc été baptisée Louise-Odile, prénom de la défunte Louise associé à celui de son fils Odile. Bel hommage reconnaissant pour ces deux personnes très estimées.

 

En novembre 1884, Odile Decencière-Chaudry, propriétaire terrien, vend  à la commune dirigée par Fortuné Mellot pour 600 francs (2400 euros) des terres destinées à la création d'une partie

du boulevard de la République.

En 1893, il vend pour 175 fr (710 euros) des terres pour l'agrandissement du chemin vicinal

de Vailly à Pilate (aujourd'hui route de Chevaise).

 

Lorsque sa sœur cadette, Delphine, 58 ans, devient veuve en 1888 de son époux Henri Doré, avocat  à Montargis,  elle s'installe à Vailly chez Odile.

 

En 1894, Odile a 67 ans.  Célibataire et sans descendance, il souhaite transmettre son patrimoine

 de son vivant.

 

Le 14 octobre, par devant maître Thomas, notaire au Noyer,  il fait donation à sa nièce Cécile

(fille de  Delphine et feu Henri Doré), 27 ans, tout juste mariée à Gabriel Crouzillard, de ses biens... 

en particulier des  terrains situés à flanc de colline entre la route de Sancerre, le boulevard de la République et l'école de filles, une portion de Vailly appelée sur le cadastre les Segretteries.

 

​

La rue Inutile-Plan cadastral
La rue Inutile-Acte notarié 1894

Odile décède en son domicile le 15 septembre 1903 à 76 ans.

Ainsi s'éteint à Vailly le nom Decencière-Chaudry.

Tombes de la famille Decencière-Chaudry. Cimetière de Vailly-sur-Sauldre

Quatre tombes appartenant à la famille Decencière-Chaudry

La plus à gauche, celle d'Odile

Cimetière de Vailly-sur-Sauldre  Carré 4

A ce moment de l'histoire de Vailly, la municipalité est conduite par Jules Roy, 35 ans,  cafetier, nommé maire en juin 1902 suite au décès de Gabriel Auroy,

Jules Roy, son épouse et ses filles. Café de la Place de Vailly-sur Sauldre vers 1904.

Jules Roy, son épouse Jeanne et leurs filles Juliette et Henriette devant leur café place de l'église vers 1904

Jules Roy

Jules Roy

(Photo prise dans les années 50)

Jules Roy envisage de créer une voie  transversale reliant le Boulevard de la République à la route de Sancerre...

et inversement.

Une sorte de raccourci pour éviter le contournement par l'école de filles  ou par la gendarmerie.

  Un raccourci... mais pour qui ?

 

Même si  l'automobile commence à faire rêver Jules Roy … même si les élus sont des visionnaires, il est impossible qu'ils aient voulu créer cette rue pour l'ouvrir à la circulation des voitures.

Celles-ci n'arriveront à Vailly que dans les années 20 et ne seront le privilège

 que du notaire, du médecin, du percepteur.

Difficile également d'imaginer une voiture à cheval s'y aventurer

car le terrain est pentu... très pentu...

 

Alors ?

Un encouragement à la construction sur le boulevard de la République ?

Les comptes rendus des délibérations municipales ne donnent pas la réponse,

ne précisent pas non plus si cette décision a fait naître des polémiques au sein du conseil municipal

ou dans la population.

 

Créer cette nouvelle voie demande à la commune un investissement important.

La première des dépenses est l'achat du terrain qui se trouve sur la portion des Segretteries, donc  propriété de Cécile Crouzillard, 37 ans,  la nièce d'Odile Decencière-Chaudry décédé. Celle-ci réside à Saint-Yriex-la-Perche en Haute-Vienne où son époux est greffier de la Justice de Paix.

Le maire Jules Roy prend donc rendez-vous avec les époux Crouzillard pour le 19 août 1904.

 

 L'idéal serait que le terrain soit offert à la commune par Cécile Crouzillard.

 

La deuxième  dépense est le financement des travaux. Jules Roy demande à l'agent voyer cantonal d'établir plans et devis.

 

Le 21 août 1904, Jules Roy réunit ses conseillers municipaux :

Frédéric Huet 70 ans sabotier, Jean Lefèvre 70 ans cultivateur,  Louis Chigot ? ans,  Mary Huet

 45 ans épicier,  Louis Blondeau 50 ans cultivateur,  François Echard 45 ans tuilier,

Alexandre Cartonnet 44 ans aubergiste,  Célestin Galliot 60 ans charron,

 Henri Lefèvre 47 ans  médecin.

Sont excusés François Toussaint 59 ans cultivateur et Paulin Bry 53 ans boulanger.

 

Le maire leur annonce que les époux Crouzillard consentent à céder gratuitement à la commune une bande de terrain d'une largeur de dix mètres à prendre sur leur terre des Segretteries et  donne lecture de la convention amiable passée entre eux. Convention qu'il aurait été intéressant de retrouver car elle précise les conditions de cet accord.

Cécile Crouzillard, on s'en doute, n'a pas cédé son bien sans contrepartie :

elle a demandé à Jules Roy de donner à cette future rue le nom de son oncle défunt

Odile Decencière-Chaudry.

 

Jules Roy présente ensuite les plans et devis établis par l'agent voyer cantonal.

Le montant du devis s'élève à 1 200 francs (environ 5 000 euros) qui se répartissent ainsi :

travaux 1 071,55 fr + surveillance des travaux 128,45 fr

 

Le conseil municipal, à l'unanimité des membres présents, accepte l'offre des époux Crouzillard, approuve la convention passée entre eux et Jules Roy et valide l'estimation qu'a faite l'agent voyer.

Une demande est faite auprès du Conseil général du Cher pour qu'une subvention de 600 fr,  à prendre sur le fonds des amendes de police, soit accordée. Jules Roy y exprime « le désir que ce projet soit approuvé au plus tôt afin de mettre en adjudication les travaux avant l'hiver ».

 Les 600 autres francs feront l'objet d'un emprunt à la Caisse des chemins vicinaux.

 

En novembre 1904, le Conseil vote un crédit de 40 fr  (165 euros) pour l'extraction des matériaux. Ceux-ci seront effectués par Alexandre Despont pour la somme de 19,20 fr et par Aimé Godon pour la somme de 22,50 fr. Soit un total de 41, 70 fr.  Le Conseil décide que l'excédent de 1,70 fr soit pourvu « au moyen des dépenses imprévues du budget supplémentaire ».

Le compte rendu de ce Conseil ne précise pas le lieu d'extraction des pierres.

 

Session du 25 mai 1905 

 Jules Roy annonce à ses conseillers que

«le Conseil général  n'a pas donné une issue favorable à la demande de subvention de 600 fr à prendre sur le fonds des amendes de police et qu'il faut donc trouver d'autres moyens pour arriver

 à construire la rue Decencière-Chaudry ».

 

Après mûre délibération, le Conseil municipal décide  à l'unanimité que les 600 fr manquant soient pris sur « le reliquat des annuités de l'emprunt à la Caisse des Ecoles dont l'échéance doit avoir lieu en 1911, reliquat s'élevant à la somme de 2 144 fr ».

Dans sa seconde demande au préfet, Jules Roy  écrit ceci : « Attendu que la construction de cette rue offre un grand intérêt pour la commodité et surtout l'agrandissement du bourg de Vailly, le Conseil prie instamment l'administration supérieure d'approuver le projet à bref délai. »

 

Session de novembre 1905

 Jules Roy annonce aux conseillers municipaux qu'il n'y a pas lieu de faire un emprunt à la Caisse des chemins vicinaux puisque le reliquat des annuités de l'emprunt à la caisse des Ecoles s'élevant à

2 144 fr  pourvoit aisément à la dépense des 1 200 fr.

 

Le 12 décembre 1905, il informe ses conseillers qu'il a reçu l'approbation d'Elisée Becq, le préfet du Cher.

 

 Les travaux de la rue Odile Decencière-Chaudry peuvent donc commencer.

 

Session du 18 mars 1906

 Le Conseil, toujours à l'unanimité des membres présents, demande " qu'il plaise à l'administration préfectorale d'autoriser le paiement immédiat des travaux de construction

de la rue Decencière-Chaudry...  afin d'éviter aux ouvriers une attente souvent gênante s'il leur fallait rester sans être payés jusqu'à l'approbation du budget supplémentaire de 1906, celui de 1905 étant périmé."

 

Enfin, à la session du 15 novembre 1906,

 le maire Jules Roy annonce au Conseil municipal que les travaux de construction de la rue

 Odile Decencière-Chaudry sont enfin terminés et

que les dépenses  se sont élevées à 972,51 fr (3 944 euros) au lieu des 1 200 fr annoncés.

Il en résulte donc un reliquat de 227,49 fr. (925 euros)

 

La création de la rue, depuis la négociation avec le propriétaire foncier au 19 août 1904

 jusqu'à l'achat du terrain, l'arpentage, le déblaiement, l'évacuation du déblai, le creusement des deux fossés, l'apport de pierres concassées et le compactage de ces pierres,

a demandé vingt-sept mois soit 2 ans et 3 mois.

 

Tout est bien qui finit bien !  Enfin... en apparence...

 

 La toute nouvelle rue Odile Decencière-Chaudry

a-t-elle fait l'objet d'une inauguration en grande pompe de la part de Jules Roy ?

 Il ne semble pas.

Je n'en ai trouvé trace ni dans les comptes rendus du Conseil municipal ni dans la presse locale.

 Par contre, la construction de cette rue aurait, dit-on, soulevé le mécontentement général de la population qui jugeait la dépense bien trop élevée pour une rue qui ne servait à rien

et qu'aussitôt on l'aurait appelée

la rue Inutile.

 

La rue Inutile ?  Non... la rout' Inutile !

Je n'ai, en effet,  jamais entendu prononcer par qui que ce soit l'odonyme

rue Inutile...  mais…  toujours... rout' Inutile

 sans doute pour éviter le son discordant et désagréable à l'oreille de ce hiatus,

la rencontre des deux voyelles que sont le u et le i.

Aujourd'hui encore, je continue à l'appeler la rout' Inutile... par habitude et par sympathie

 puisque cette rue a bercé toute ma petite enfance.

 

Il y a quelques années, je me suis mise en quête d'interroger les plus anciens du village, nés dans les années 20... Lucien, José, Jean, tous m'ont certifié n 'avoir jamais entendu ce nom

Odile Decencière-Chaudry et que, lorsqu'ils avaient une dizaine d'années,

la  rue s'appelait route Inutile. Ils s'en souvenaient très bien.

 Dans les années 30, en hiver, cette rue était leur terrain de jeux.

 Lorsqu'elle était recouverte d'une épaisse couche de neige, ce qui arrivait plus souvent que maintenant, ils s'amusaient à la dévaler en luge... et sans crainte des voitures route de Sancerre...

 il y en avait très peu et ne devaient excéder les 12 km/h dans la traversée du bourg de Vailly

 (décret municipal du 28 juin 1923).

 

Alors, quand exactement la rue Odile Decencière-Chaudry a-t-elle été débaptisée ?

Est-ce sous le mandat de Jules Roy ?

 Celui-ci aurait-il renié aussi vite la convention signée avec les époux Crouzillard ?

De par sa fonction de maire qui l'oblige à être le plus intègre possible, il n'a pas pu se le permettre.

 

 La population était-elle si  mécontente de Jules Roy, radical socialiste, et de sa politique ?

On peut en douter :

il a été élu en mai 1904...  réélu en mai 1908...  réélu en mai 1912...

 

La rue Odile Decencière-Chaudry a-t-elle été débaptisée officiellement ?

J'ai épluché tous les comptes rendus des délibérations des conseils municipaux successifs, depuis la création de la rue en 1906 jusqu'aux années 50. En vain...

 

  La rue Odile Decencière-Chaudry n'a jamais été débaptisée officiellement.

​

« La rout'... a sert à rin... »  aurait dit un quidam...

 

    « La rout'... a sert à rin... »  aurait martelé un autre... 

 

« La rout'... a sert à rin... » …

 

Tant et si bien, qu'à force de répétitions... « La rout'... a sert à rin »  a fini par s'ancrer dans les mémoires puis dans l'histoire commune.

C'est ainsi que la rue

 ODILE DECENCIERE-CHAUDRY

est devenue, par la voix du peuple,

 la ROUT'  INUTILE

​

Prouver que la rue s'appelle encore aujourd'hui Odile Decencière-Chaudry,

 m'est assez facile  puisque je possède deux actes notariés qui l'attestent.

 

En 1928, alors qu'une seule  maison est construite sur le boulevard de la République, celle de Patient Planson,

mon grand-père Armand souhaite y faire bâtir la sienne. Il achète donc un terrain appartenant à Cécile Crouzillard

sur la parcelle des Segretteries.

 Sur l'acte notarié de vente du terrain dressé le 19 janvier 1928 par maître Louis Foucher, notaire à Vailly,

le nom de la rue Odile Decencière-Chaudry y figure.

 Preuve que la rue portait encore cet odonyme en 1928...

La Rue Inutile - Acte notarié 1928

Suite au décès de ce grand-père, l'acte de notoriété établi le 19 mars 1965 par maître Léon Dujardin, notaire à Vailly, stipule que mon père devient héritier d'une maison bâtie

  à l'angle du boulevard de la République et de la rue Odile Decencière-Chaudry.

Preuve que la rue portait encore et toujours cet odonyme en 1965...

La Rue Inutile-Acte notarié 1965

 

Une plaque

RUE INUTILE

a donc été apposée dans les années 80

alors que la rue n'a jamais cessé de s'appeler

 RUE ODILE DECENCIERE-CHAUDRY 

​

J'ai demandé à la rue Inutile, claquemurée dans son silence

depuis plus de cent ans, de nous dire ce dont elle se souvient :

 

 Malgré mon air débonnaire, je suis, quoi qu'on en pense,

 une rue à forte connotation politique.

 

Depuis l'accord du 19 août 1904 entre les époux Crouzillard et Jules Roy  et pendant deux ans et demi de ma genèse,  je ne fis guère parler de moi. Personne ne pensait  que ce projet de rue aboutirait. Mais dès le premier coup de pioche, un groupe d'opposants au maire se mit à me critiquer violemment. On ne parlait plus que de moi dans les commerces et bistrots.

« La rout'... a sert à rin... »

 

 La politique de Jules Roy fut mise à mal. Plus les travaux avançaient plus la colère gagnait la population.

Une aubaine sans doute pour ces opposants politiques qui préparaient l'alternance...

alternance ratée une première fois aux élections de mai 1904...

ils ne voulaient pas rater celle de 1908.

Lorsqu'en novembre 1906, je fus enfin ouverte à la circulation, le travail de sape avait été tel que mon nom

Odile Decencière-Chaudry  ne réussit pas à s'imposer.

La population m'avait déjà débaptisée.

Sans qu'on ne tint compte de mon avis, mon nom originel, certes quelque peu grandiloquent,

avait fait place à l'humiliante appellation « rout' Inutile ».

J'étais devenue une route... d'inutilité publique...

 

Jules Roy ne renia jamais la convention signée avec Cécile Crouzillard, certes, mais il ne fit rien, non plus,

pour imposer mon nom Odile Decencière-Chaudry.

Je n'existais que par la transmission orale.

 Pas de texte officiel, pas de plaque pour attester à jamais mon identité.

 

Lorsque Cécile Crouzillard quitta Saint-Yriex, suite au décès de son mari en 1918,

pour s'installer rue du Vieux Château, sa stupéfaction et sa déception furent grandes

mais se muèrent vite en résignation.

 Cécile n'était pas de taille à affronter la vox populi.

 C'était trop tard... l'opinion générale avait été plus forte que tout.

 

Cette vague de mécontentement dans la population,

exacerbée par la propagande politique, ne ruina pas la politique municipale en place  puisque

Jules Roy fut réélu en 1908, réélu en 1912 et resta maire jusqu'aux élections suivantes

de novembre/décembre 1919  où il ne se représenta pas...

mais, inconsciemment,

 effaça du patrimoine historique et culturel la mémoire d'Odile

 et par là même celle de son père Antoine qui fut maire durant vingt-neuf ans,

le plus long mandat de tous les maires de Vailly.

 

 Pendant des décennies, on évita ma compagnie.

 Jamais un regard, un mot, un sourire... comme si je n'existais pas.

 

J'ai contesté haut et fort l'apposition de la plaque RUE INUTILE.

Pour me faire taire, l'on m' enveloppa  d'un joli manteau de bitume.

 

Depuis, chaque jour,  je compte sur les doigts d'une main les piétons et les conducteurs

qui osent défier ma pente.

Ont-ils remarqué que j'ai de la distinction dans mes manières ?

Pas de pollution... pas de bruit... pas de tapage nocturne...

Je suis une rue exemplaire !

Et quand on vient me prendre en photo avec sarcasmes et ricanements,

je fais toujours preuve d'amabilité et de politesse.

 

Ce qui fait ma consolation et ma fierté, c'est que je suis unique...

 l'unique rue Inutile en France.

 

Et mon rêve... s'il est permis de rêver... serait de voir un jour mes deux odonymes enfin et ainsi réunis :

​

Rue Inutile de Vailly-sur-Sauldre. Plaque 2
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